Un après-midi, je marchais comme d’habitude pour passer le temps jusqu’à ce que ma femme rentre à la maison pour le dîner. Elle avait un emploi à plein temps, alors je gérais la maison. Le nettoyage n’était pas un problème, car c’était une petite maison. J’adorais cuisiner et cela ne me dérangeait pas de faire la vaisselle et ma femme m’aidait à laver et à repasser les vêtements. Cependant, je me sentais mal à l’aise en m’occupant de mon enfant. Il était alors un ange blond d’un an avec un œil bleu et un œil marron. J’aimais regarder comment il jouait avec sa mère et luis souriait, tout en prononçant des sons inintelligibles et en posaint ses petites mains sur ses vêtements et ses mains. Toutefois, lorsque je le prenais dans mes bras, ses yeux perdaient tout leur éclat et leur sourire disparaissait. Il m’a même semblé que ses yeux devenaient marrons en ma présence et bleus seulement en présence de sa mère, mais quand je disais cela à ma femme, elle éclatait de rire.
L’après-midi était plus calme que d’habitude. Les empanadas étaient prêtes au four jusqu’au retour de ma femme ; je les faisais cuire à feu doux pour qu’ils ne perdent pas leur jus. Pour ceux qui ne connaissent pas : les empanadas sont une pâtisserie salée garnie de divers ingrédients. Ce jour-là, j’avais choisi ma farce préférée : la viande rouge. Je les avais toujours bien assaisonnés pour que les différentes saveurs se mélangent en un plaisir en bouche inégalé. Il m’avait fallu au moins une demi-heure avant que ma femme ne revienne. Pendant ce temps, je n’aimais pas traîner dans la cuisine durant que les plats cuisaient, car je voulais toujours ouvrir le four et prendre une bouchée d’empanada que je prenais par impatience et gourmandise. C’est pourquoi j’allais me promener. En passant devant le boucher, je vis des promotions : 10 zlotys pour un kilo de porc désossé semblait être une offre que personne ne laisserait passer, mais ce jour-là, je n’avais pas envie de manger. De plus, ma femme n’aimait pas la viande autant que moi, même si j’espérais que cela changerait après ce jour-là. J’avais toujours eu peur que le végétarisme ne se glisse dans notre maison.
Peu de temps après, je passais devant le Parc Wilson, plein de pigeons. J’étais un carnivore passionné et je pensais toujours que partout où se trouvaient les pigeons, les gens ne pouvaient pas mourir de faim. Parfois, j’imaginais leur tirer dessus avec une fronde et en ramener un ou deux à la maison pour voir s’ils avaient le goût du poulet. Mais certaines personnes m’avaient detrompé en me disant que les pigeons de ville sont porteurs de nombreuses maladies. J’avais donc abandonné mes fantasmes de chasse pour me consacrer entièrement aux tâches ménagères, comme changer les couches et m’assurer que le bébé ne pleure pas pendant que ma femme dormait. Bien sûr, nous nous étions répartis les tâches, ce qui était très juste pour moi, mais je n’arrivais toujours pas à m’habituer à cet ultime acte de civilisation : le soin. Je pensais toujours que m’occuper de mon propre enfant serait une simple action instinctive qui se déclencherait dès que je verrais ma progéniture devant moi, mais cela ne s’avait pas passé comme prévu. Plus j’essayais, plus je me sentais mal à l’aise devant cet enfant ; il me semblait qu’il sentait que je me ridiculisais et qu’il aimait m’humilier. Le démon malicieux se mettait à pleurer dès que j’ai mis ma main sur lui et s’arrêtait quand je finissais de changer sa couche ou de le laver. Ma femme en était tourmentée et attribuait tout cela à ma négligence et à mon inattention. Elle m’avait montré des centaines de fois comment tenir un bébé pour qu’il ne pleure pas et comment jouer avec lui pour qu’il rie, mais mes mouvements et mes gestes n’étaient qu’une pantomime de ce qu’ils devraient être, donc au final, elle a assumé toutes les tâches qui étaient liées au bébé et je faisais tout fait pour la dédommager. J’ai été plus que satisfait de cet arrangement et je pouvais enfin me contenter de regarder de loin, avec admiration et peur, ce petit dictateur devenir un homme.
J’étais perdu dans mes pensées quand soudain mon téléphone sonna. C’était ma femme ; elle rentrait du travail et appelait pour voir comment les choses allaient. “Tout va bien.” Je dis : “Le repas est prêt. J’étais inquiet et je les ai fait cuire un peu plus tôt.” À ce moment-là, je fis demi-tour vers chez moi et j’accélérai parce que j’avais erré sans but et j’avais parcouru un long chemin.
« Où es-tu ? » Elle demanda : « Tu est dehors ? »
« Non, je suis sur le balcon », je dis, pour ne pas la contrarier. Pour une raison quelconque, je savais qu’elle serait contrariée si elle découvrait que j’étais dehors.
« Alors, je serai là dans exactement cinq minutes », elle dit, « et j’ai plus faim qu’un loup ; je n’ai pas pris de petit déjeuner ce matin ».
« Alors j’espère que mon dîner ne te décevra pas », je dis, mais je n’étais pas sûr que ce serait le cas. Elle avait toujours parlé des vertus du végétarisme et de la férocité du carnivorisme, mais elle continuait à manger de la viande pour moi. Je rentrais de plus en plus vite jusqu’à ce que je commençai à courir. Je n’avais pas remarqué que je me dirigeais dans la même direction depuis vingt minutes auparavant, et dans ce moment-là, je n’en avais plus que cinq minutes pour y revenir. Il n’y avait pas de lignes de tram pour m’aider, et il ne servirait à rien d’être à la merci du bus et de ses mystérieux horaires. Alors, je courrai et, à ma grande surprise, je rentrai une minute avant ma femme. Cela me donna le temps d’éteindre le four et de disposer les empanadas dans un arrangement floral.
Quand elle rentra à la maison, elle alla directement à la cuisine et enleva son manteau et ses chaussures, mais elle portait encore son écharpe et son bonnet, quand elle prit la première bouchée de son empanada. « Mmmm » – elle murmura simplement et « mmm » encore ; tous ses sens étaient clairement assujettis par l’empanada. Mais dès qu’elle finit de manger la premier, soit juste trois minutes après l’avoir pris, et ça seulement parce que la vapeur qui en sortait l’empêchait de la manger plus vite, elle se leva et se dirigea vers la chambre. J’attrapai son bras presque violemment; Je n’arrivais pas à croire qu’elle ne mangeât qu’une seule empanada et qu’elle repartit sans montrer le moindre signe qu’il en voulait plus. Elle me regarda et, quand elle comprit mes sentiments blessés, elle sourit en voyant ma naïveté. Elle me dit : « S’il te plaît, ne les manges pas tous ; je veux juste jeter un coup d’œil à Jean. « Jean », j’ai pensé, « qui pouvait être assez méchant pour ainsi appeler quelqu’un ?» Mais il me fallut une seconde pour réaliser que c’était le nom de mon fils ; je ne m’y était pas encore habitué. « C’est bon», dis-je. « Ne t’inquiète pas; il ne pleurera plus. Prends une autre empanada ». Elle me regarda et, dans ce moment-là, je sus qu’elle était devenue végétarienne.